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La dépression est de saison

  • 15 oct.
  • 4 min de lecture

Ce mardi matin-là, Anna était assise dans sa voiture, observant le givre qui s'accrochait à ses vitres avec obstination. C'était son cinquième hiver dans le nord de la France, et bien qu’elle appréciait contempler les parcs enneigés et les lumières festives de Noël, elle n’était toujours pas habituée au froid et à ce ciel gris qui s’éternisait.


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Elle se sentait assez chamboulée depuis la fin du mois de septembre, mais elle doutait des raisons qui pouvaient justifier de son état. Tout semblait être en pleine dégénérescence : son énergie, sa joie, ses amitiés, ses habitudes alimentaires, et même son intérêt pour ses livres préférés. Son mari Marco, la taquinait chaque année en lui disant qu'elle était « allergique à l'hiver », et bien qu’au début de leur relation, ce type d’humour la détendait, cela devenait de moins en moins drôle à ses yeux. La nuit dernière, elle s’était énervée contre lui comme jamais elle ne l’avait fait auparavant, puis elle avait fondu en larmes juste après. Elle n’était pas si apathique qu’elle le pensait finalement.

Anna avait vaguement entendu parler de la dépression saisonnière, mais elle avait toujours considéré la définition comme étant ridicule. Une dépression causée par une saison ? Hilarant. Pour elle, la dépression ce n’était qu’une excuse que les gens utilisaient pour justifier leurs humeurs maussades et pour avoir des arrêts de travail faciles de toutes façons. Cela ne suivait pas du tout les codes de l’éducation qu’elle avait reçue. « Manquerait plus qu’une dépression à cause du soleil et du vent aussi ! », s’était déjà dit Anna. Pourtant, en quête de réponses et sans solution miracle à ses idées noires, elle s'empara de son smartphone et commença à se renseigner plus sérieusement sur le sujet, au cas où…

Cela faisait déjà quinze minutes qu’Anna était assise au volant de sa voiture, à survoler plusieurs résultats sur Google, après avoir tapé — “Pourquoi je me sens si mal mentalement et physiquement à chaque hiver ? — dans la barre de recherche.

Malgré les plaisanteries qu’elle s’autorisait avant, la jeune femme réalisait petit à petit que le trouble affectif saisonnier était bel et bien réel. Le premier résultat dans la liste proposée par le moteur de recherche énonçait que la réduction de la lumière du soleil pouvait apparemment perturber les niveaux de mélatonine, de sérotonine, et donc provoquer des changements d'humeur. Le résultat suivant expliquait que plus nous vivions loin de l'équateur, plus nous risquions de ressentir les effets des changements de saisons. Le troisième résultat présentait des habitants de la Scandinavie qui appréciaient les hivers grâce au « hygge », qui est un mode de vie axé sur le bien-être, les atmosphères chaleureuses et le confort.

Anna n'arrivait pas à imaginer que ce type d’aisance lui soit accessible un jour, car elle ne supportait vraiment pas l’hiver, et cela ne risquait pas de changer de si tôt, selon son avis. En passant de son application internet à son compte Instagram personnel, elle tomba sur un post sponsorisé proposant un e-book gratuit intitulé “Luminothérapie : comment guérir du TAS* avec une simple lampe de chevet”. Anna n’en revenait pas, elle était presque obligée de lever les yeux au ciel face à la rapidité de l’algorithme, mais aussi face à ce contenu qui faisait la promotion d’un traitement dont elle n’avait jamais entendu parler, mais qui était en lien avec les recherches qu’elle venait de faire.

Cela faisait maintenant trente-deux minutes qu’Anna était assise dans son véhicule, à réfléchir et à se perdre entre les différents hashtags #TroubleAffectifSaisonnier #DépressionDeSaison #Dépression sur les réseaux sociaux. Elle regardait l’interview d'une Norvégienne, dans une courte vidéo sur un compte de médias assez connu. La femme y affirmait qu'il était essentiel d'apprendre à apprécier l'hiver. Le thé fumant qu’elle dégustait dans son chalet drapé d’imposantes couches de neige ne paraissait pas être une contrainte pour elle, apparemment. « Nous le ressentons, mais l’être humain s’habitue à son environnement avec le temps. Il suffit d'être patient », disait-elle d’un air confiant. Anna mit l’écran de son smartphone en veille, puis soupira, agacée.


« Faire preuve de patience ? », s’indigna-t-elle. Ce conseil donna envie de pleurer à Anna. Cette expression émotionnelle était bien trop récurrente ces temps-ci et à son plus grand désarroi, vu que l’acte même de pleurer, lui déplaisait.

Qu'était-elle censée faire en attendant ?

Elle se mit à réfléchir à son hygiène de vie actuelle et aux activités qui pourraient l’aider à aller mieux. De plus, elle se rendait bien compte sans même avoir ouvert tous les articles et vidéos, que les dépressions saisonnières hivernales et estivales n’étaient pas si rares qu’elle le pensait.

Présentement, la neige la bloquait fermement dans son parking. Du moins, c’est ce qu’elle s’était trouvé comme prétexte, pour justifier le fait qu’elle ne voulait pas nécessairement remonter à son appartement et faire face à son mari. Après ce qu’elle venait de découvrir en se promenant sur Internet, ainsi que les souvenirs de son élan colérique de la veille, elle avait besoin de réfléchir un peu avant de discuter avec qui que ce soit.

Anna refusait d’accepter le froid avec une telle intensité, qu’elle n’avait même pas encore pris le temps d’aller à la cave, afin de récupérer ses manteaux. Bien qu’elle était soulagée de constater qu’elle n’irait pas au bureau aujourd’hui, à cause du temps, elle réalisait aussi qu’elle avait besoin de réconfort et que seul son mari pourrait lui en apporter, à cet instant.

Elle murmura « Le printemps est proche » à plusieurs reprises, puis remonta chez elle, se disant qu’elle continuera ses recherches le lendemain. Après tout, elle n’était plus à ça près, vu qu’elle ressentait ces sensations tous les ans à la même période.

En ouvrant la porte de son immeuble, elle se retourna avec un fin sourire, puis imagina les premiers crocus poussant à travers le sol dégelé et le soleil qui réchaufferait enfin son visage dans quatre mois.


Fin.

Merci pour ta lecture de La dépression est de saison et à très vite.


Ce récit est une oeuvre de pure fiction. Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

TAS* Trouble Affectif Saisonnier

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