La première fois
- 15 oct.
- 4 min de lecture
Linda est assise au bord de son lit, ses mains sont agrippées à son doux plaid en velours et son regard est plutôt fuyant pour le moment. Bien qu’elle sente son coeur battre relativement vite, l'excitation qui lui serre la gorge se fait bien ressentir également. Le moment est enfin arrivé et elle a méticuleusement planifié chaque détail de la venue de Kyle, son adorable petit ami en qui elle a confiance depuis le début de leur histoire.

Kyle rejoint Linda et s’assoit lentement à côté d’elle. Ensuite, il pose délicatement sa main droite sur sa cuisse gauche, et là, c’est le drame. Intérieurement, Linda sent le nœud familier de l'anxiété se former à toute vitesse. Néanmoins, elle reste déterminée, car elle s’est promis qu’aujourd’hui, elle passera à l’acte officiellement. « Ce n’est pas grave si je dis ça tous les mois, n’est-ce pas ?! », pense-t-elle avant de se concentrer sur le moment présent et d’y rester.
Son petit ami lui chuchote à l’oreille qu’ils ne sont pas obligés de faire quoi que ce soit si elle n’est pas prête, et Linda a vaguement l’impression que c’est la quatrième fois de la soirée qu’il la rassure avec cette phrase.
Linda déteste ce sentiment de culpabilité et de frustration qui semble toujours l'accompagner lorsqu'elle tente de se rapprocher de quelqu’un physiquement. Ce n’est pas de la faute de Kyle, car il ne lui a jamais mis la pression, il ne l’a jamais fait se sentir ridicule à cause de ses hésitations et changements d’avis de dernière minute. La pression vient clairement de quelque chose de plus profond, mais elle ignore ce que c’est. Elle entend cette même voix méprisante dans sa tête qui ne cesse de lui répéter qu’elle est nulle, car elle ne peut pas faire ce que tout le monde réussit à faire au quotidien avec aisance.
« J'ai juste... », la voix de Linda se brise et elle baisse les yeux. « Je pensais que cette fois-ci, j'y arriverais. Je le voulais vraiment. Enfin, je le veux vraiment. Je suis désolée Kyle, tu perds vraiment ton temps avec moi, tu mérites une femme moins incapable ».
Son copain se met à lui masser les cervicales, ce qui a toujours le don de la détendre assez vite, mais aujourd’hui, le geste habituel ne fait qu'accentuer sa honte et son sentiment de culpabilité.
« Ce n'est pas grave, tu n'as pas à t’expliquer », dit Kyle d’un air soucieux.
Cependant, Linda tient à le faire de nouveau. Elle sait depuis toujours que son anxiété continuera d’avoir une influence sur sa vie, mais la peur de perdre sa virginité à 29 ans n’a rien à voir avec le stress de prendre la parole en public ou de se retrouver bloquée dans un ascenseur. La société a toujours mis un accent spécial sur la sexualité, en criant à qui veut bien l’entendre que le sexe est la porte d'entrée vers l'âge adulte, la féminité, l'intimité et la connexion avec soi et autrui. Linda a toujours essayé de se convaincre que l'attente n’a pas d'importance, que sa vie sexuelle potentielle ne la définit pas. Pourtant, chaque tentative ratée ne fait que l'aliéner davantage.
Kyle s'excuse pour aller chercher un verre d’eau pendant que Linda ouvre son téléphone et tape discrètement — conseils rapides pour les personnes qui ont peur d'avoir des rapports sexuels — sur ChatGPT. Les données s’affichent progressivement et trois mots lui sautent aux yeux parmi tous les conseils cités : sexologue, sexothérapie, asexualité. Elle n'a pas le temps de lire les conseils, car son petit ami est déjà de retour dans la chambre, mais elle garde l’onglet internet ouvert pour plus tard. Après tout, il est clair qu’il ne se passera rien ce soir, pour ne pas changer.
Deux heures plus tard, Kyle est profondément endormi dans leur chambre et Linda est assise sur la terrasse avec son téléphone en main, afin de revenir sur sa lecture. L'idée de contacter un(e) sexologue lui paraît terrifiante, mais intelligente. Si elle ne franchit pas cette étape, elle risque de rester piégée à jamais, prisonnière des attentes de la société et de ses pensées angoissantes.
Linda envoie un texto à sa meilleure amie et lui dit : « Zéro pointé, encore une fois. Franchement, je crois que j'ai besoin d'en parler à quelqu’un qui s’y connaît professionnellement. Je ne peux pas continuer à donner de faux espoirs à Kyle, ce n'est pas juste. Il ne mérite pas ça et à force, je sens que je commence à le pousser vers la sortie, car j’ai peur qu’il perde patience ».
Après s’être informée toute la nuit, Linda a enfin pris sa décision. Elle compte en discuter avec Kyle à son réveil.
Le lendemain matin…
Cela fait au moins une heure et demie que Kyle et Linda discutent au lit. Ils n’ont même pas encore pris leur petit-déjeuner. Toutefois, Linda refuse qu’ils démarrent leur journée sans parler d’hier soir.
« Je pense que c'est normal, ça arrive à certaines personnes. Honnêtement, je sais que je n’aurais jamais le courage d'aborder ce sujet avec quelqu'un que je ne connais pas. C'est beaucoup trop personnel et intimidant pour moi. J’admire le fait que tu veuilles le faire en tout cas. Je suis fier de toi. »
Linda sait que son petit ami veut bien faire, mais dans tout ce qu’il vient de dire, elle bloque sur un détail qu’elle a clairement oublié d’envisager : parler de sa sexualité avec un(e) inconnu(e). Linda ressent une lueur d'espoir, doublée d’une peur bleue que quelqu’un de qualifié se moque d’elle.
Trois semaines plus tard...
Linda a rendez-vous chez le sexologue cet après-midi. Elle a rompu avec Kyle il y a huit jours, après qu’ils aient réessayé et que ce soit encore un fiasco. Elle lui a partagé son besoin d’avoir du temps pour travailler sur elle et bien qu’il n'était pas d'accord, elle devait le laisser partir pour savoir si tout cela était dû à ses choix de partenaires ou à quelque chose de plus grave. Au fond d’elle, Linda espère que ce premier rendez-vous sera miraculeux et qu’après cette consultation, elle pourra se remettre avec Kyle rapidement.
Est-ce irréaliste ?
Fin.
Merci pour ta lecture et à très vite.
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