L’errance médicale de Nathan
- 13 oct.
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Nathan fixait anxieusement le document qui était entre ses mains. Les mots « trouble » et « bipolaire » semblaient pulser sur la page au rythme des battements de son cœur. Après des années passées à s’épuiser en passant d'un psy à un autre, à essayer divers traitements et à suivre des mois de thérapie sans résultats concrets, ce diagnostic avait plutôt l’air d’être une réponse qui s’ajoutait à sa confusion stagnante. Mais pouvait-elle aussi être LA réponse qu’il attendait ?

À 30 ans, Nathan s'était habitué à vivre dans l'incertitude. Ces dix dernières années avaient été marqués par des cycles qui, rétrospectivement, semblaient douloureusement clairs. Ces mois où il était envahi d’idées, pris d'énergie débordante et assailli de nuits blanches, laissaient place à des périodes sombres où sortir de son lit lui donnait l'impression d'escalader le Kanchenjunga sans l’attirail adéquat. Ses amis le décrivaient assez souvent comme « intense », « passionné » ou « imprévisible », mais aucun de ces mots ne pouvait décrire le vide qui suivait chaque montée d'adrénaline.
Pendant des années, les médecins lui avaient collé des étiquettes. Il y avait eu la dépression, l’anxiété, le TDAH, même la cyclothymie. Chaque diagnostic s'accompagnait de son lot de prescriptions et promettait un soulagement. Mais finalement, les médicaments brouillaient sa réalité, ils lui donnaient l'impression d'être l'ombre de lui-même et chaque consultation ne faisait que réveiller de nouvelles questions. Dès qu'il se sentait sur le point de comprendre ce qu’il se passait, le sol se dérobait sous ses pieds de nouveau. Était-ce cela qui était en train de se passer là aussi ?
Lorsque le Dr Lemaire, son nouveau psychiatre, lui avait calmement annoncé qu'il soupçonnait un trouble bipolaire, Nathan ignorait s'il devait se sentir soulagé ou vaincu. « Génial, une autre étiquette », pensait-il assez agacé. « Une autre série de médocs, une autre routine, une autre partie d'essais et d’erreurs ».
« Vous vous demandez probablement si c'est le bon diagnostic Nathan ? », dit le docteur Lemaire, d'une voix douce mais ferme, comme si il lisait dans ses pensées.
Il rit, d'un air amer. « Cela fait des années que je me pose des questions et que je tourne un peu en rond. Je trouve qu’on ne parle pas assez de l’errance médicale et honnêtement, je ne sais même pas si je croirai au diagnostic demain. »
Le docteur Lemaire acquiesce, compréhensif. « Il est tout à fait normal d'être sceptique vous savez. Beaucoup de choses vont changer pour vous, surtout après ce que vous avez vécu, mais ce diagnostic n'est pas qu'une étiquette, aucun ne l’est. Ce n’est qu’un point de départ en quelque sorte ou un moyen de vous permettre de vous adapter à votre situation. Je ne promets pas de solution miracle, mais avec le bon suivi, les choses peuvent s’améliorer Mr ».
Nathan voulait le croire, mais une partie de lui anticipait déjà la déception. La thérapie et les médicaments précédents paraissaient comme des promesses non tenues par d’autres spécialistes à ses yeux. Pourtant, pour la première fois, malgré ses craintes, quelque chose semblait différent dans cette conversation. Mr Lemaire ne semblait pas pressé de le guérir pour s’en débarrasser rapidement ensuite et puis il ne répondait jamais « je ne sais pas » à ses questionnements. Au contraire, il avait posé de vraies questions, avait bien exploré les faits, et ne s’était pas attardé sur son attitude d’affront du début.
Au cours des semaines suivantes, Nathan s’engageait prudemment à utiliser les outils partagés par son psychiatre. Il suivait ses fluctuations d’humeurs, prenait note de ses pensées intrusives, faisait des exercices de respiration quand il avait l’impression d’être incontrôlable et il tenait également compte des schémas comportementaux qu'il ignorait auparavant. À certains moments, il avait l'impression de marcher sur de la glace fine, terrifié face à l'idée qu'elle pourrait se briser sous ses pieds, pour révéler un autre diagnostic bidon. Pourtant, à chaque consultation avec Dr Lemaire, il commençait à croire que la voie dans laquelle on l’avait placé pouvait être la bonne.
Bien évidemment il y avait eu des revers, rien n’est parfait. Certains jours, Nathan se persuadait que c'était une erreur, qu'il se réveillerait et qu'il serait de retour à la case départ dans l’errance. Toutefois, d'autres jours, de petites et fragiles victoires lui faisaient du bien, il sentait un changement. Il commençait à mieux surfer sur les vagues de ses humeurs et avec moins de résistance. De ce fait, il trouvait un point d'ancrage dans la compréhension de ce que signifiait le trouble bipolaire.
Il acceptait de ne pas avoir toutes les réponses, il commençait à se sentir moins défini par les noms et plus par son propre parcours. Par moment, il se demandait pourquoi nous tenions absolument à recevoir des diagnostics pour savoir comment fonctionner, mais en fin de compte, Nathan s'était rendu compte que la seule étiquette qui comptait vraiment, c’était sa volonté de continuer, de s’aider, de se faire aider, et ce, quel que soit le nombre de fois où il devait recommencer ou être déçu.
Fin.
Merci pour ta lecture et à très vite.
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