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L'anxiété démasquée

  • 15 oct.
  • 3 min de lecture

Sophia était passée maître dans l'art de l'invisibilité.

À 21 ans, sa vie semblait ordinaire : cours à l'université, dîners en famille, soirées entre amis, etc. Pourtant, sous son apparence sereine, l'anxiété déferlait telle une marée incontrôlable. Chaque situation publique se transformait en une évaluation de sa capacité à dissimuler le chaos intérieur qui l’envahissait.


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En amphithéâtre, ses mains tremblaient souvent lorsqu'elle serrait son stylo à cause de son stress. Il y avait toujours beaucoup trop de monde autour d’elle et elle se sentait épiée. La semaine passée, sa professeure de biologie l’avait interpellé devant toute sa promo, parce qu’elle souhaitait que Sophia passe à son bureau à la fin du cours. Son cœur battait à tout rompre, comme si il voulait s'échapper de sa poitrine. L'étudiante s’était forcée à sourire et à acquiescer doucement, en espérant que le timbre froid de sa voix ne la trahirait pas. Personne ne semblait remarquer les symptômes qu’elle dissimulait, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle allait se faire réprimander pour quelque chose.

Les dîners de famille n’étaient pas plus simples. Habituellement, sa jambe droite s’agitait à table sans relâche, ses paumes étaient moites et sa gorge était tout le temps sèche.


Elle redoutait profondément les questions indiscrètes des membres de sa famille, concernant son avenir, sa situation amoureuse actuelle ou son absence à certains événements. Dès que l'anxiété la tenaillait, elle s’excusait discrètement en prétextant avoir besoin de se laver les mains. Il lui fallait souvent deux à trois minutes pour reprendre ses esprits, afin que sa famille ne se doute de rien. Dans la salle de bains, elle s'aspergeait le visage, respirait profondément, puis se forçait à rejoindre la table, le visage serein.

Lors des soirées entre amis, Sophia restait généralement assise, ni trop près, ni trop loin des autres, car discuter ou danser pour se distraire ne lui permettrait pas de masquer la panique qui l’habitait, elle avait bien trop peur de dire quelque chose de bête ou de gênant. Lorsqu’elle sentait la pièce tourbillonner de rires et de conversations auxquelles elle ne parvenait pas à prendre part, sa poitrine se resserrait et l’envie de rentrer chez elle devenait persistante. Toutefois, fidèle à son rôle, elle signalait toujours à une seule et unique personne qu’elle avait besoin de sortir, car elle avait éperdument besoin d'air frais.

Même les moments les plus anodins la mettaient à l'épreuve. Dans un magasin de vêtements populaire bondé, le bruit et les lumières vives la submergeaient en permanence.


Elle s’y sentait piégée, comme si sa vision se transformait en tunnel. S'agrippant ordinairement, soit à l'étagère la plus proche, soit au mur, elle faisait semblant d'examiner un ou deux articles, jusqu'à ce que la vague s’atténue et qu’elle puisse s’en aller, sans être dévisagée par qui que ce soit.

Un jour, alors qu’elle était assise seule au parc des Tuileries, après un nouvel épisode anxieux épuisant, Sophia avait remarqué qu'une jeune femme assise sur un banc voisin l'observait. Elle s’était figée presque automatiquement, son cœur s’était emballé et les nausées lui montaient. Bien évidemment, dans le but indéniable que cette personne ne puisse rien remarquer d’étrange chez elle, Sophia avait décidé de présenter son plus beau sourire.


L’inconnue s'était approchée d'elle d’un pas hésitant.

« Ça ira mieux dans quelques minutes, essayez de vous rappeler que ça ne dure jamais et respirez doucement », avait-elle murmuré. « Je ne dis pas cela par hasard et excusez mes conseils non sollicités mais… J’en fait aussi ».

Sophia clignait des yeux rapidement à ce moment-là, complètement abasourdie. « Pardon ? », avait-elle répondu poliment.

« Des attaques de panique », précisa son interlocutrice d'un air gêné, comme si, aborder quelqu’un dans la rue était une grande première pour elle. « Je cache les miennes aussi. C'est difficile, n'est-ce pas ? ».

Les larmes de Sophia coulaient déjà et la personne perchée au-dessus d’elle n’avait même pas encore terminée sa phrase. Elle ne cessait de se demander comment avait-elle pu être démasquée si rapidement, par quelqu’un qui ne la connaissait pas. La honte, la culpabilité et l’angoisse s’étaient mélangées ce jour-là, en réaction à cette interaction. Sophia avait passé des années à cacher ses symptômes. Aujourd'hui, quelqu'un les avait remarqués, commentés et compris.


Il y avait quelque chose chez cette personne qui lui permettait de laisser tomber son masque émotionnel pour une fois. Elles étaient restées au parc quelques heures, à partager leurs expériences avec l’anxiété, et même si Sophia ne revoyait jamais cette femme, elle savait à l’avance que cette journée resterait gravée dans sa mémoire.


Fin.

Merci pour ta lecture de L'anxiété démasquée et à très vite.


Ce récit est une oeuvre de pure fiction. Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

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